Lettre ouverte aux stagiaires
Cette lettre ouverte aux stagiaires a été initialement publiée dans la Newsletter du mois de juin du Carrefour des stagiaires.
Merci au Carrefour de m’avoir invité à partager ma vision du stage.
Mes chères consœurs,
Mes chers confrères,
Vous avez choisi un métier exigeant mais passionnant. Voilà ce que je dis depuis de nombreuses années à chaque nouveau stagiaire dont la formation m’est confiée et aux stagiaires auxquels j’ai le plaisir de dispenser le cours de déontologie. Permettez-moi, fort de cette expérience, de partager avec vous les convictions qui animent ma volonté d’œuvrer au service des stagiaires.
Un maître de stage a pour premier devoir de former son stagiaire. Il doit l’accompagner dans la transformation de ses acquis universitaires en réelles compétences. Il doit l’initier aux arcanes de nos règles déontologiques. Il doit lui apprendre à gérer son temps, les conflits de priorité dans les dossiers et le stress. Il doit lui enseigner l’art de gérer les relations avec les clients, les confrères et les magistrats. Le bon maître de stage le fera avec rigueur, bienveillance et humanité. Il accompagnera son stagiaire dans son développement professionnel. Il lui proposera des perspectives qui correspondent à ses aspirations réelles. Il lui donnera la passion de ce métier à nul autre pareil.
Notre Ordre et le dauphin en particulier doivent veiller à ce que les jeunes avocats se sentent accueillis et encouragés à s’épanouir au barreau, qu’ils soient toujours traités avec respect.
Ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Je les ai rencontrés, parfois accompagnés et conseillés, ces jeunes avocats victimes de harcèlement ou autres abus. J’en garde un sentiment de révolte, particulièrement lorsque ces agissements sont exacerbés par le genre ou la précarité du stagiaire. Ces comportements indignes sont aux antipodes de ma conception de notre profession et doivent être farouchement combattus. J’entends la défiance ou la déception de certains d’entre vous par rapport aux instances de l’Ordre. Elle m’attriste mais je la comprends.
Si le barreau me fait l’honneur de m’élire comme dauphin, j’œuvrerai sans relâche à la restauration de cette confiance. Mes priorités pour les jeunes avocats seront les suivantes :
- la commission du stage modernisera ses règles de fonctionnement. Un recueil de sa jurisprudence sera établi. Les litiges seront tranchés, dans le respect des droits de chacun, mais – et j’insiste sur ce point car c’est une de vos préoccupations – sans formalisme et à bref délai. Elle veillera au suivi des plaintes, à l’information régulière des parties concernées et à l’exécution des accords intervenus sous son égide. Je veillerai à ce que la commission du stage reçoive les ressources nécessaires à un fonctionnement rapide et efficace.
- le Carrefour des stagiaires, et son délégué, seront l’interlocuteur privilégié de l’Ordre. Je le soutiendrai dans ses initiatives innovantes, en encourageant notamment le formidable « projet audiences ». Le Carrefour sera consulté à l’avance et impliqué dans tous les projets de l’Ordre qui concernent, directement ou indirectement, les stagiaires.
- les heures prestées par le stagiaire, qu’elles soient ou non facturées au client, doivent être intégralement rémunérées. Le nouveau contrat en consacre le principe. Il prévoit par ailleurs un mécanisme assurant une rémunération minimale proportionnelle au nombre d’heures effectivement prestées. Je veillerai au strict respect de ces principes par les maîtres de stage.
- des contrôles annuels renforcés de l’exécution du contrat de stage, tant aléatoires que ciblés, seront mis en place et porteront non seulement sur le respect des conditions de rémunération mais sur tous les aspects du stage.
- la procédure et les conditions d’agrément des maîtres de stage seront également renforcées afin de veiller à ce que seuls des maîtres de stages dignes de confiance et effectivement en mesure de proposer une vraie formation dans le strict respect du contrat de stage puissent exercer ce rôle de compagnonnage.
- en tant que dauphin je serai disponible et accessible au quotidien pour les stagiaires qui pourront me saisir de façon informelle de toute question ou incident. Je veillerai à ce que les stagiaires soient protégés, immédiatement et efficacement, lorsqu’il sont victimes de comportement abusifs ou indignes, et en particulier de harcèlement. Quel que soit l’auteur de tels abus, il devra être sanctionné. Soyez-en convaincus.
- je proposerai un assouplissement et une clarification des règles en matière de suspension et d’interruption du stage afin de favoriser la mobilité (internationale) des jeunes avocats en inversant la règle actuelle qui oblige les avocats ayant interrompu leur stage à accomplir à nouveau l’ensemble des obligations du stage. Afin de promouvoir cette mobilité, je veillerai également à raviver les contacts que notre Ordre entretient avec les barreaux étrangers.
- je poursuivrai et intensifierai le travail de sensibilisation des cabinets afin qu’ils proposent aux jeunes avocats – stagiaires et collaborateurs – une rémunération décente. Une rémunération en adéquation avec leur cursus universitaire ainsi que de vraies perspectives de développement, qui intègrent un équilibre entre vie professionnelle et vie privée. En effet, je déplore que tant de jeunes avocates, brillantes et passionnées par leur métier se voient contraintes de quitter le barreau lorsqu’elles deviennent mamans, par crainte de ne pouvoir mener de front maternité et poursuite de leur vie professionnelle au barreau. Quel gâchis pour notre profession. Cessons de considérer un stagiaire comme un coût mais voyons-le comme un investissement en notre avenir commun.
Une dernière conviction. Les plus grands avocats ne sont pas ceux qui ont connu le succès dans leur carrière. Ce sont ceux qui ont osé partager leurs talents et leur succès parce que construire et réussir ensemble est la plus belle récompense d’une vie. Cherchez un tel maître de stage qui ait l’envie et la volonté de transmettre, qui vous encouragera à donner le meilleur de vous-même et, un jour prochain, à voler de vos propres ailes. Ce jour-là viendra, soyez en assurés, malgré les inévitables déceptions, les moments de découragement et les remises en question. Dans ces moments, en tant que le dauphin je serai là pour vous épauler. Suivez votre voie et cultivez les forces que vous mettez au service des clients – combativité, indépendance, créativité – pour vous-même. Vous avez bien plus qu’un avenir au barreau, vous êtes son avenir.
Votre très dévoué,
Emmanuel Plasschaert