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L’avocat fiscaliste dénonciateur : une dangereuse dérive

La directive EU 2018/822 du Conseil du 25 mai 2018, plus connue sous le nom de « DAC 6 » a été transposée en droit belge par la loi du 20 décembre 2019.

Si son but qui est de « réagir rapidement contre les pratiques fiscales dommageables » est certes louable, sa mise en œuvre est critiquable en ce qu’elle porte atteinte au secret professionnel de l’avocat.

L’objet de la directive et la sauvegarde (imparfaite) du secret professionnel

La directive prévoit un mécanisme de déclaration des dispositifs fiscaux internationaux dits « agressifs » par les « intermédiaires », ceux-ci étant définis comme les personnes qui conçoivent, commercialisent ou organisent de tels dispositifs, les mettent à disposition ou en gèrent la mise en œuvre. Au sein du barreau, la directive concerne donc au premier chef nos confrères fiscalistes.

La directive prévoit la possibilité pour les Etats Membres de dispenser les intermédiaires lorsque « l’obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national dudit Etat Membre ».

A cet égard, il faut saluer les efforts de nos Ordres communautaires qui ont à plusieurs reprises, dans le cadre de l’élaboration de la loi de transposition, rencontré l’administration fiscale et le cabinet du Ministre des Finances, en leur demandant de faire usage de la possibilité de dispense accordée par la directive et de veiller, dans le cadre de la transposition, à la sauvegarde du secret professionnel de l’avocat.

Il est regrettable toutefois que la loi du 20 décembre 2019 n’ait rencontré qu’imparfaitement ces souhaits.

Le secret professionnel à nouveau mis à mal

Se fondant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui aborde le secret professionnel sur la base du droit au procès équitable et non sur celle de la protection de la vie privée, la directive considère, comme en matière de règles préventives du blanchiment, que le secret professionnel de l’avocat ne couvrirait pas la préparation et l’exécution de certaines opérations. Le secret ne protège que le conseil qui relève de la détermination de la situation juridique d’un contribuable ou de la défense de ce dernier dans le cadre d’une action en justice.

Comme on l’a déjà indiqué, la directive laisse toutefois aux Etats membres la possibilité de dispenser des intermédiaires de leurs obligations de déclaration lorsque celle-ci serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national. La Belgique a fait usage de cette faculté.

L’avocat tenu au secret professionnel doit ainsi informer les autres intermédiaires concernés (experts-comptables, banquiers, etc.) qu’il ne peut respecter son obligation de déclaration et que celle-ci leur incombe donc. En l’absence d’autres intermédiaires, il doit informer le client lui-même et lui signaler l’obligation de déclaration qui lui incombe. A défaut de ce faire, l’avocat ne peut invoquer valablement son secret professionnel et s’abstenir de déclarer.

Par ailleurs, le secret professionnel de l’avocat ne peut jamais dispenser la déclaration de certains dispositifs dits « commercialisables », ceux-ci étant définis comme les dispositifs transfrontières conçus, commercialisés, prêts à être mis en œuvre, ou mis à disposition aux fins de sa mise en œuvre, sans avoir besoin d’être adaptés de façon importante.

Appréciation critique

La différence essentielle entre les règles préventives du blanchiment et la DAC 6 réside dans le fait que la seconde s’applique à des dispositifs qui sont en principe parfaitement légaux (voire même qui ont été soumis préalablement à leur mise en œuvre à l’administration fiscale belge dans le cadre d’une procédure de décision anticipée).

L’atteinte que portent la directive et la loi de transposition au secret professionnel de l’avocat ne m’en apparaît que plus grave encore.

Sur cette question complexe, je veux être bien compris. Mon souhait n’est pas de couvrir d’une manière quelconque des agissements répréhensibles. L’avocat fraudeur ou qui se rend complice de fraude fiscale se met hors loi et s’expose au risque de poursuites disciplinaires ou pénales.

Mais, croyons-nous vraiment que celui qui offre son appui à des opérations de fraude fiscale ira dénoncer spontanément ses agissements ou qu’il veillera à demander à son client de le faire ?

A l’évidence non et ces nouvelles obligations de déclaration, les entorses qu’elles portent à nouveau au secret professionnel de l’avocat et la lourde charge administrative qu’elles imposent aux confrères concernés me paraissent totalement disproportionnées eu égard au but poursuivi.

L’avocat ne peut être « infantilisé » ou présumé coupable de faire usage de son secret professionnel pour couvrir la fraude.

Sur la base d’une déontologie forte, le barreau doit défendre ses valeurs cardinales que sont, entre autres, le principe de l’autorégulation et le secret professionnel.

J’y veillerai.

Emmanuel Plasschaert | Candidat au dauphinat 2020